Au service de l’agriculture oasienne

Ingénieur-docteur en agronomie, le docteur Bouchentouf a consacré sa vie
professionnelle à l’agriculture des régions sahariennes.

Pourriez-vous nous expliquer votre engagement dans le développement des oasis aujourd’hui ?

J’ai acquis une longue expérience dans de nombreux projets liés de près ou de loin
à l’agriculture des régions sahariennes et du système oasien. Dans une première partie
de ma carrière, j’ai obtenu le poste de Directeur de l’Agriculture et de la Pêche de la
wilaya (région administrative NDRL) d’El Oued, au sud du pays, alors que nous avions
un programme ambitieux de mise en valeur de terres. Les actions de ce programme ont
permis que la wilaya devienne le potager de l’Algérie. Puis, j’ai supervisé de nombreux
projets de développement agricole dans les neuf wilayate (régions administratives)
sahariennes et dans des wilayate présahariennes pendant plus de dix ans en ma
qualité de cadre au niveau du Commissariat au Développement de l’Agriculture des
Régions Sahariennes Ouargla. Enfin, en tant que consultant international et Directeur
des Programmes Innovation et Développement au niveau de l’Association Pro Natura
International Paris, j’ai beaucoup œuvré au transfert de technologies écologiques et
innovantes dans un grand nombre de pays, notamment en Afrique subsaharienne et la
ceinture sahélienne.

Vous avez créé la micro-ferme écologique de Timimoun, était-ce la suite logique de votre carrière ? Comment en avez-vous eu l’idée ?

J’ai longuement mûri ce projet « le Retour à la Terre » dans la région désertique
Timimoun Gourara, un milieu hostile caractérisé par de fortes contraintes, et par la
présence de potentialités de développement. C’est un défi que je voulais relever depuis
longtemps. Je souhaite prouver que le système oasien est résilient, qu’il assure des
fonctions multiples et importantes, et qu’il peut s’épanouir et s’étendre s’il trouve des
conditions favorables à son développement.

Pourriez-vous nous décrire ce que vous faites à Timimoun, quelle est la
philosophie de ce projet, ses objectifs ?

L’objectif du projet est de renouveler la culture oasienne, grâce à de de nouvelles
technologies, d’améliorer les connaissances et de nous ouvrir de nouvelles portes pour
produire plus avec moins et en respectant l’environnement. Il est aussi d’assurer un
confort de travail amélioré avec une gestion raisonnée des ressources naturelles, une
optimisation de l’espace cultivé et une meilleure conduite des cultures.
Les premières années ont donc consisté en des opérations de réhabilitation, d’entretien,
de rénovation, de restauration, et de réaménagement hydraulique. Il fallait sauvegarder
l’existant et le moderniser, dans une démarche pour faire prospérer une agriculture
oasienne plus résiliente, durable et responsable avec une autonomie autour du palmier
dattier, l’arbre pivot de la stratification des cultures.

Quels enseignements en tirez-vous pour ces premières années de
fonctionnement ?

La micro-ferme « la Clé des Oasis » est un projet innovant qui intègre les dimensions
environnementale, économique et sociétale du développement durable. Elle contribue à
assurer la sécurité alimentaire des populations les plus vulnérables dans les zones
oasiennes, à limiter les impacts négatifs dans les domaines environnementaux et
écologiques grâce à la permaculture et la culture en étage. Cette initiative permet
également de valoriser des savoir-faire ancestraux, notamment dans la gestion durable
des ressources en eau et des sols qui sont en danger à cause de la salinisation. Enfin,
elle est intéressante car elle mêle la formation, la sensibilisation, la vulgarisation et la
collaboration avec les communautés locales : c’est un vrai projet multi-parties
prenantes. Et il en faut davantage pour assurer la pérennité des projets.
Dans une interview vous évoquez la nécessité d’inventer « les oasis numériques
de demain »,

Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là, et en quoi
la dimension numérique vous paraît déterminante ?

La démarche numérique me parait déterminante par les outils de conseil et d’aide à la
décision qu’elle met à la disposition de tous. Par exemple, la gestion de l’eau d’irrigation
est encore très mal valorisée puisque les rendements obtenus sont encore faibles
comparés à ce qui se fait dans d’autres pays. D’importantes économies d’eau peuvent
être réalisées à l’avenir tout en augmentant les productions. Elle permet également la
gestion durable de la santé des sols, la fertilisation organique, la protection des cultures,
la pollinisation, la production et santé animale.
Les projets de développement agricole dans le sud de l’Algérie ont marqué
l’histoire du pays depuis les années 1980 avec un succès mitigé, comme vous
avez pu le constater dans vos fonctions précédentes.

A votre sens, qu’apporte de plus une démarche comme celle de la Clé des Oasis ?

Dans la vision stratégique et la démarche de la micro-ferme, la valeur ajoutée est
l’orientation du développement, la redynamisation de l’économie agricole et rurale
oasienne avec des solutions innovantes en impliquant les acteurs du monde rural, les
collectivités locales, les associations, les institutions spécialisées, la recherche, la
profession, la société civile, les investisseurs.
Vous êtes impliqué dans l’organisation du sommet des oasis qui doit se dérouler
à l’automne prochain.

Pouvez-vous nous décrire les objectifs de ce projet ?

Deux éditions techniques et scientifiques de dimension internationales ont été
organisées en 2018 et 2019 au niveau de la micro-ferme. Les contraintes ou menaces
qui pèsent sur la durabilité des oasis sur le plan socio-économique, technique et
environnemental sont multiples et variées. Pour le Sommet des Oasis , dont la date est
fixée du 23 au 27 octobre 2021 à Timimoun, l’objectif majeur est d’arriver à faire de cet
événement particulier, un moment fort tourné sur des réflexions en se focalisant sur des
solutions concrètes et réalisables avec une vision stratégique dans la durée pour une
meilleure intégration des systèmes oasiens. Nous allons notamment réfléchir sur la
valorisation de l’eau et le développement durable dans les systèmes oasiens et mettre
en lumière les options de valorisation des régions arides et sahariennes dès lors qu’il
existe une ressource en eau souterraine mobilisable.
Nous souhaitons promouvoir des systèmes de production qui bénéficieront du retour
d’expérience des pionniers du désert et de l’introduction de nouvelles technologies telle
que celle des Biochars ou carbone écologique. C’est une occasion privilégiée pour
échanger sur la place des oasis et de l’agriculture saharienne dans l’économie
Algérienne et au-delà. La présence de représentants d’autres pays sera d’un apport
bénéfique sur la capitalisation des connaissances, le partage et la reproductibilité des
expériences positives.


Pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre participation au « festival de l’autonomie au jardin oasis de biodiversité» qui a lieu mi-juin 2021 sur Internet ?
Qu’est-ce qu’une réflexion sur les vraies oasis, celles du désert saharien peut apporter à votre sens ?

La cofondatrice de l’Oasis des 3 Chênes au Portugal m’a sollicité en tant qu’expert
conférencier au Festival de l’autonomie du jardin, oasis de biodiversité qui se tient en
ligne du 11 au 21 juin 2021. Elle semble penser que ma conférence peut enrichir la
vision donnée aux auditeurs francophones en zone tempérée qui pourront trouver une
source d’inspiration de mon partage d’expérience. De mon point de vue, c’est une belle
opportunité de faire connaître la clef des Oasis à un public plus large. J’ai conçu une
conférence intitulée « Un modèle oasien inspirant face aux changements
climatiques ». J’espère que ma participation permettra à de nombreuses personnes
d’augmenter leur autonomie alimentaire et les incitera à agir concrètement au niveau de
leur jardin pour créer des oasis de biodiversité et préserver les écosystèmes. Je
voudrais démontrer ce que le système oasien peut apporter un changement pour la
valorisation et la préservation de ce patrimoine écologique, économique, social, culturel,
historique, environnemental.

Docteur Bouchentouf
Directeur de recherche, chef de projet pour Biocarbone R&D